C’était un accident. J’allais porter une pile de livres à la Grande Bibliothèque, empruntés quelques semaines plus tôt pour compléter mes recherches pour un article. Je ne devais rien rapporter à la maison, je voulais mes mains vides au retour. Mais j’ai eu du temps à tuer.
J’ai fouillé les rayons. T’sais, une recherche du genre «j’ai de la chance». Comme ça, j’ai trouvé les rayons du théâtre. Et alors, j’en ai eu l’urgence. Fallait me voir dévaliser les rayons.
Lire du théâtre. J’aime tellement ça, lire le théâtre. Voir tous les possibles du texte plutôt que de m’en faire imposer une vision. Comprendre les mécanismes. Faire sonner à répétition le rythme de certaines répliques. Hurler. Chuchoter. Chanter. Étouffer. Recommencer.
Cette semaine, j’ai lu huit pièces de théâtre. J’en ai encore une huitaine à dévorer. Dans le genre varié, t’sais. De Sarah Kane à Larry Tremblay, passant par Jennifer Tremblay, Howard Barker, Daniel Danis (évidemment!) et Jean-Marc Dalpé. Quelque chose comme une orgie théâtrale, de quoi m’en mettre plein les tripes.
Je ne sais pas ce que je cherchais.
Pourquoi je faisais ça.
Mais je sais ce que j’ai compris.
Cette passion pour le théâtre. Tous ces possibles qu’il offre et qu’aucun autre art ne permet d’aussi belle façon. Cette jouissive concomitance potentielle des temps, des lieux. Cette intrication des paroles disjointes dans les mêmes corps, ou alors cette diffraction de la même parole en plusieurs corps éparpillés. Ça n’a rien à voir avec le roman choral. Rien à voir avec les séquences successives d’un film qui voudrait nous faire voyager en divers lieux et divers temps. Au théâtre, c’est autre chose.
C’est : tous les temps concentrés, hameçonnés à la même parole vive.
C’est tous les lieux qui bulbent dans le même espace à mesure que le texte les «réalisent».
C’est tout ça qui n’est jamais complètement là, mais qui non plus jamais ne disparaît totalement.
Je sais : que je ne pourrais jamais « ne plus écrire de théâtre ». Or, je pourrais sans problème ne plus jamais publier de recueils de poésie. Parce que cette poésie, je la trouve n’importe où, je la crache à tous vents, même ceux de face. Ça me sort par les pores, littéralement, et ça sent ce que ça sent. J’en aurai toujours dans mes romans, j’en trouve plantée dans n’importe quel billet publié sur ce blogue. Crisse, je peux écrire une strophe sur un napperon ou dans le brun d’une boîte de Corn Flakes éventrée, je n’en serai pas moins satisfait. Quand j’ai la luck de pouvoir profiter d’une chambre d’hôtel, j’en écris même aux femmes de ménage. La poésie, ça a pas besoin de recueil. Ça a juste besoin d’être écrit.
Mais le théâtre n’est nulle part en-dehors du théâtre. Il n’est que là où il peut exister, dans la tension du souffle et des attentes. Pas nécessairement sur une scène. Mais là où ses conditions d’existence sont réunies, là où les conventions lui donnent vie.
C’est ça. Le théâtre, c’est l’accident qui finit pas. C’est la vie qui poigne quelque part sur la planète pis qui se répand, pis qui est pas tuable. Ostie qu’on est pas tuables, pareil.
C’est l’accident qui finit pas. C’est le texte qui ouvre le ventre. Pas celui qui nous met le nez dedans.
J’ai le goût d’ouvrer des ventres. Une orgie d’ouvrages de ventres. Que ça crève, que ça explose, que ça vive.
C’est pas un secret que je m’intéresse au théâtre depuis longtemps. J’ai déjà fait quelques projets d’écriture, discrets mais très formateurs. Sauf que j’ai eu peur longtemps que mes textes soient tout croches. Qu’ils ne soient pas suffisants. Que ce ne soit pas à ma place. Peur d’être déçu de l’arrivage du texte, aussi, mais bon, j’imagine que celle-là va rester.
Mais crisse, quand je mets le feu pis que ça flambe, je viens tellement à l’envers, tellement sans voix, tellement tu que j’écrase. Je peux pas sortir de ce monde-là. Faut que je plonge plus en amont, quitte à me retrouver dans le bas trop vite, là où y’a moins de remous. Quitte à me fracasser le crâne sur une roche pendant la descente. Ce serait une belle fin, pareil.
Faut que je plonge plus en amont.
J’en ai eu l’intuition, t’sais, avec Les mains de Jonathan. C’est un texte que j’ai écrit, qui est co-produit par La Rubrique et le Trillium et qui sera présenté en 2014. J’ai pu l’entendre lu par les comédiens, quand nous l’avons travaillé, argumenté, décortiqué dans le cadre d’un laboratoire de production, quelque part à Ottawa, en février dernier. J’ai suivi avec intérêt la vision qu’en avait eue le metteur en scène, Pierre-Antoine Lafon Simard. J’ai reçu tout ça comme une décharge. Mais alors, c’était encore juste ça : de l’intuition. Un « crisse-que-j’aime-ça » pas plus réfléchi, t’sais. Ça venait du creux, dans le milieu du ventre, à trois pouces au nord du nombril. Du creux fragile, là où la peau touche pas encore les côtes, là où elle est le dernier rempart avant de poigner dans les tripes.
Il m’a fallu un mois pour m’en remettre. Et pour comprendre un peu. Ce « crisse-que-j’aime-ça », c’est pas de l’ordre du thrill, ni du caprice, ni de l’ego. C’est technique. C’est intellectuel. C’est créatif.
C’est la traversée du texte. C’est son avenue. C’est l’intersection. C’est là où l’écrit prend une envergure qui dépasse le réel, quand il poigne une épaisseur. C’est quand le corps amène le texte ailleurs, et que dans le même temps le texte mène le corps ailleurs. Ça va tellement loin. Ça peut aller tellement loin.
C’est ça. C’est ce possible là. C’est la seule vraie texture. L’accident qui finit pas.
Watch out. Je m’amuse.
Je m’en viens.