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Citation: Hubert Aquin


Lire ceci et sentir l’urgence.

Écrire des romans non souillés par l’intolérable quotidienneté de notre vie collective et dans un français antiseptique et à l’épreuve du choc précis qui ébranle le sol sous nos pieds, c’est perdre son temps.
Hubert Aquin

 


Arracher les nuages


Les yeux secs comme s’ils ne savaient plus pleurer depuis trop longtemps, tout voir embrouillé au lever, mais voir quand même ce livre laissé sur la table de chevet la veille. Depuis que l’amoureuse est au bout du monde, je sais lire. C’est pourtant pas de sa faute, si j’ai perdu l’habitude de la lecture. C’est seulement que depuis qu’elle est partie, je suis en manque de dialogue intelligent, et que lire est pour moi ce qui s’en rapproche le plus actuellement. 

Alors dès que j’ai ouvert l’oeil dans la lumière vive du matin – je ne ferme plus les stores depuis que l’amoureuse est partie, puisque je me lève de toute façon à la même heure jeune -, j’ai vu le livre de Virginie Beauregard D., Les heures se trompent de but, et j’ai replongé, sans culpabilité, comme un alcoolique assumé sort s’acheter une autre caisse de bières.

Quand fiston s’est réveillé à son tour, je lui ai offert d’aller se chercher un livre et de venir me rejoindre dans le grand lit. Alors: lui et moi, adossés à la même montagne d’oreillers, dans le matin clair, un livre en équilibre précaire sur le ventre. Et résonnant dans la chambre, son souffle d’enfant qui ne sait lire qu’à voix haute. Tout ça jure un peu avec Les heures se trompent de but, mais le moment est trop beau pour cesser ma lecture.

J’aime bien les éditions de l’Écrou. Ça peut être serré au quart de tour, ou un peu slaque, mais ça peut aussi être plus proche d’un projectile de fronde. Et ça te rentre entre les deux yeux. Il y a un peu de tout ça dans Les heures… L’ouvrage que signe la jeune poétesse doit être lu comme un appel à la liberté, d’agir et de penser, avec tout ce que ça implique de spontanéité, d’incertitude, de flottement. Le recueil de tout ça donne parfois l’impression d’assister au déploiement d’une série d’insides, ouvrant l’accès à un intime indéchiffrable, mais alors l’image réussit tout de même généralement à frapper. Sinon? On s’en fout et on continue. J’ai aimé m’en foutre et continuer. N’importe quoi pour tomber encore sur quelque chose comme: 

je pense
que je pourrais arracher les nuages
et courir dessus

Certains poèmes de Beauregard prennent parfois l’allure de tableaux, essentiellement descriptifs, surprenant dans la trame du recueil qui se situe plutôt dans le registre de l’acte (mais tout de même à propos). Ils captent un instant, comme des haïkus dénaturés, étirés dans tous les sens (et à mon sens, plus satisfaisants que de nombreux haïkus qui semblent souffrir de la forme concise qui les définit pourtant). 

Impossible de parler de l’ouvrage sans mentionner la relation ténue qu’entretient le texte avec des illustrations qui viennent le bousculer. On en vient à se demander (sans tenir à avoir la réponse) lequel, de l’image ou du texte, est venu en premier. Cette démarche est riche, laisse beaucoup de place à l’intelligence du lecteur. Un livre qu’on voudra voir trimballé, corné, barbouillé. Le mien est pas mal rendu là.

Les heures se trompent de but, c’est une poésie à la fois brute et sensible. Il y a quelque chose de punk dans ces pages qui m’a un peu brassé la cage. Disons que je me suis trouvé pas mal sage… Où sont rendus mes Doc’s et mon bummer? Et l’insouciance, elle? Eh bordel que le temps finit par nous emmancher. 

Fiston susurre la chanson de l’alphabet à mon oreille, comme une berceuse, en me caressant les cheveux.

Viens-t’en, mon homme. Laisse faire ton livre. On va aller arracher des nuages.


Meurt d’abord le dire


J’ai invité Arcade Fire pour le dîner.  Accoté à ma table de travail, les yeux toujours rivés à l’écran, je pique de la fourchette dans une salade de coquilles au jambon et aux melons. Le soleil perce quelque part en arrière-scène et fait des flèches dans le paysage glacé du mont Jacob. Winter For a Year me donne des frissons.

Je suis privilégié. Pas seulement pour cet instant de calme bonheur. Je repense à cette soirée d’hier qui fut en tous points parfaite. Une rencontre poétique comme on en vit peu. La plus belle soirée de poésie que j’ai pu vivre jusqu’ici. Un moment que je n’oublierai pas de sitôt.

Tant que la vie me laissera un peu de mémoire, c’est promis.

Je dois me sentir à peu près comme Plume quand il a écrit Jonquière, la bière en moins. J’ai envie de remercier toute la gang d’impro de Dominique-Racine, et leurs amis présents, et les organisateurs de ce moment de bonheur. J’ai eu bin du fun à Dominique-Racine. Bin du fun.

Votre écoute attentive, votre intérêt, vos questions toutes pertinentes, vos numéros, vos lectures, votre attitude… J’ai aimé voir que vous étiez là pour vous amuser. Des jeunes qui s’amusent avec les mots et la poésie, c’est grandiose. Vous étiez beaux à voir. Beaux à entendre.

Et dans l’écho de ma dernière lecture, quand vous avez répété avec moi les derniers vers, vous m’avez donné de ces frissons qui changent une vie.

N’oubliez jamais: ouvrez grand la gueule! Parce que…

avant que cesse la respiration,
meurt d’abord le dire

meurt d’abord le dire

et en écho que l’on sache

meurt d’abord le dire

(Des champs de mandragores, p.98)

Ne laissez pas mourir le dire!

 


Ce court moment dans le Daily Comic Strip


Le soir de ma plus récente lecture à Radio-Canada (Ce court moment, 12 février 2011), j’allais assister à la dernière représentation de la pièce Les Sens, une production du Théâtre La Rubrique – pour lequel je suis responsable des communications et du développement des publics – et j’ai pris à bord deux jeunes artistes de ma connaissance. Un comédien-manipulateur-dans-le-sens-de-manipulateur-de-marionnettes-photographe-graphiste-et-buveur-de-crème-de-menthe-etc., Patrick Simard, et une bédéiste-illustratrice-faiseuse-de-marionnettes-andréenne-et-future-maîtresse-d’une-chienne-qui-s’appellera-Machine-etc., Laurence Lemieux.

Ce soir, le hasard (je suis en train d’écrire un dossier sur la bande-dessinée québécoise pour la revue Lettres québécoises) a voulu que je tombe sur un forum de bédéistes présentant une initiative intéressante: le Daily Comic Strip. À mi-chemin entre la chronique et le journal intime, le projet demande aux participants de faire une nouvelle planche à chaque jour, relatant les faits marquants de leur journée.

Ma surprise aura été de découvrir, dans la première proposition de Laurence Lemieux, un extrait du texte que j’ai lu à la radio ce matin-là…

Ça m’a ému. Savoir que c’est ma voix qui a réveillé Laurence ce matin-là, c’était déjà beau. Mais le voir dessiné, en plus…

Et se voir en train de lire un texte à la radio dans une bande dessinée diffusée dans un forum et reproduit dans un blogue… Quel télescopage!

Salut Laurence! Merci pour le clin d’oeil.


Biz rappe contre la loi C-32


« Toute peine mérite salaire, mais ça’ l’air qu’y en a qui ont pas d’peine à m’voler le mien. »

Ces mots sont extraits d’un rap performé par Biz (de Loco Locass) devant le Ministre James Moore pour protester contre le projet de loi C-32 à propos des droits d’auteur.

Le problème, actuellement, c’est qu’on entend surtout parler des droits d’auteurs pour tout ce qui a trait aux supports sonores. Peut-être parce que les chanteurs sont plus habitués à faire du bruit…

J’aimerais voir les auteurs faire autre chose que seulement retweeter les articles qui traitent de la question. Et je me compte parmi ceux-là.

Cliquez ici pour entendre le rap à Biz.


Salut Gaston Miron!


Ça y est. Je pleure.

Je pleure Gaston Miron que je n’ai jamais pu rencontrer, jamais pu voir vivant.

Je pleure Gaston Miron qui ne sera jamais qu’un illustre personnage de l’Histoire, pour moi. Je pleure de n’avoir jamais entendu son harmonica autrement que par le WEB, sa voix autrement que par les films.

Salut Miron. Tu restes là. Ne t’inquiète pas.

G.Miron, 8 janvier 1928 – 14 décembre 1996.

 

 


Citation : Élisabeth Vonarburg


Il y avait cette semaine l’inauguration officielle du circuit littéraire La Littérature aux abords des rivières, organisé par le Salon du livre du Saguenay – Lac-Saint-Jean. À La Baie, Chicoutimi et Jonquière, des bornes présentant le travail d’auteurs de renom, morts ou vifs, étant nés ou ayant vécu dans la région.

Invitée à prendre la parole, Élisabeth Vonarburg, dont la borne est installée dans la portion chicoutimienne du parcours, a fait un superbe discours – de ceux qui devraient être publiés. Je retiens entre autres ce passage où elle compare la fin d’une histoire avec celle de la fin d’une rivière, qui s’ouvre sur la vastitude :

«Le lecteur peut continuer son voyage quand l’histoire fait semblant d’être finie…»
(Élisabeth Vonarburg, 21 octobre 2010)

photo: Élaine Brodeur (source)

L’encens des forêts du Nord


L’air de fin juin charrie les cendres du Nord. Là-bas, il y a tous ces feux, beaucoup de feux, qui mangent beaucoup de forêts. La télé ressasse depuis plusieurs jours des images de brûlure de paysage, de fumées étouffantes, d’avions-citernes jaunes qui crachent par le ventre, qui vêlent au-dessus des flammes, échappant leur lame d’eau opaque. Et malgré le fleuve qui s’impose comme une barrière marine, malgré la distance qui nous sépare des hectares calcinés, ça sent la fumée, et le ciel au nord rougeoie comme si le soleil était en train de s’y coucher. 
(Nos échoueries, p. 109)

Nos échoueries continue de m’habiter. Il parle dans mon quotidien, me revient par bribes, me raconte à nouveau. C’est une sensation étrange. Comme s’il était là pour continuer à faire écho à mon expérience du monde. Le texte est écrit, pas ma vie.
Est-ce que cette ambiance, cette atmosphère, se dissiperont assez pour me laisser écrire cette autre histoire?
***Soupir. 

citation du mois d’avril: René Char


Voilà une citation que j’aurais dû trouver avant la publication de mon premier recueil de poésie, Des champs de mandragores… Mais on ne refait pas le temps.

«Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des noeuds.»
René Char, Rougeur des matinaux.

Et une autre à réfléchir dans le cadre de ma démarche d’écriture, celle-ci de Sainte-Beuve… Une réflexion qui n’est pas sans faire écho à la mienne:

«Il faut écrire le plus possible comme on parle et ne pas trop parler comme on écrit.»
Charles-Augustin Sainte-Beuve, Les Cahiers.


Citation du mois de décembre: Mademoiselle Personne


«Chaque histoire a sa langue propre. Le grand défi, quand on en commence une, c’est de trouver la bonne voix pour raconter. Le bon langage. Tant de choses en dépendent. Il faut que le lecteur y croie, c’est la première condition. Quoi qu’on raconte, il faut que le lecteur y croie. Il faut que ce soit vrai. Cela n’a rien à voir avec la réalité, pas du tout. Ce n’est qu’une question de langage. Toute la vérité d’une histoire se trouve dans les mots que l’auteur emploie pour la raconter.»

(Marie-Christine Bernard, dans Mademoiselle Personne)